Wim Wenders : « Un film doit être inventif et ne pas utiliser des idées qui ont déjà payé »

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Samedi 21 octobre, CurioCity était convié à échanger avec le réalisateur et photographe allemand Wim Wenders qui venait de recevoir, la veille, le prix Lumière 2023. Voici la retranscription de cette conférence de presse.

En 1982, vous posiez la question suivante à seize de ses confrères réalisateurs dans « Chambre 666 » : « le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ? ». Quarante ans plus tard, en 2022, Lubna Playoust utilise le même dispositif pour poser la même question à 30 cinéastes contemporains présents à Cannes cette année-là. Comment vous répondriez à cette question aujourd’hui ?

Tout d’abord j’admire le travail qui a été fait par Lubna. Dans son « remake », ses réponses sont nécessairement plus complexes que dans « Chambre 666 », car le cinéma a beaucoup évolué depuis 1982. Je souhaite que ce même travail soit refait dans quarante ans, car j’imagine que tout ce que nous faisons aujourd’hui aura encore beaucoup évolué. En tout cas, je reste convaincu que le cinéma existera toujours en 2062, qu’il y aura toujours autant de salles de cinéma car c’est un art nécessaire.

Vous avez rendu hommage hier (20 octobre) lors de la remise de votre prix, aux Lumières et à la Lumière. Quelles lumières n’avez-vous pas encore réussi à filmer ?

Chaque film à sa propre lumière. C’est que quelque chose qui bouge chaque jour. A titre d’exemple je suis très heureux de la luminosité du jour qui va me permettre de filmer dans de bonnes conditions le premier film des Frères Lumières tout à l’heure.

Après l’obtention de ce prix, récompensant votre carrière, pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?

Etant attristé de la (re)montée du nationalisme en Europe ces dernières années, mon prochain film fera sans doute l’effort de tirer la sonnette d’alarme sur les risques que cela pourrait engendrer à l’avenir. Mais je ne vais pas plus en parler aujourd’hui, car je suis très superstitieux et je préfère avoir avancé sur le projet.

Puisque vous parlez d’actualité, parlons de la situation actuelle aux Etat-unis autour notamment autour de la rémunération des auteurs et des craintes concernant l’intelligence artificielle. Quel est votre point de vue sur cela ? Deuxième question : suite à la déclaration de Martin Scorsese concernant la prolifération des blockbusters qui tuerait l’industrie du cinéma, quel est également votre point de vue sur la question ?

Commençons par le second point. Godard, qui était certes parfois sauvage dans sa pensée, avait anticipé qu’un jour les américains finiraient par faire moins de films et qu’un jour sûrement, il ne finirait par n’y avoir plus qu’un seul film dans le monde. Il avait sans doute déjà pressenti cette tendance à multiplier les sequels, remakes… Je pense notamment à la saga Fast and Furious qui est est déjà à son douzième épisode si je ne me trompe pas… C’est vrai que ça tue l’imagination. Je rejoins Martin Scorsese là-dessus. Ça fait des films tellement formatés… Enfin je trouve. Ce n’est pas bien de répéter le même schéma. Un film doit être inventif et ne pas utiliser des idées qui ont déjà payé.

Vous savez, de nos jours, il y a énormément de potentiel créatif. Il y a de grands scénaristes avec des idées et qui sont frustrés de cette situation. Cette intelligence artificielle terrifie beaucoup de scénaristes et metteur en scène. Tout est devenu d’un coup trop simple pour les studios donc je rejoins bien évidemment cette lutte. Vous savez, le taux d’idées originales validées et soutenues par les grands studios est en fait minime… Cette manière de penser le cinéma « sans risques » inquiète beaucoup l’industrie actuellement.

Concernant l’intelligence artificielle, je sais que James Cameron est très engagé sur la question. Il est spécifiquement en train de lutter contre les studios concernant la manière de concevoir un film 3D. Il prône une manière « plus humaine » de filmer.