×

Outwitting the Devil d’Akram Khan à l’Espace des Arts

Partager cet article :

Marisa Caitlin Hayes

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Le 21 février la scène nationale de Chalon-sur-Saône a programmé une représentation de Outwitting the Devil d’Akram Khan, chorégraphe majeur dans son Angleterre natale. Dévoilée aux spectateurs français pour la première fois lors du dernier Festival d’Avignon, sa pièce – dont le titre se traduit par  « tromper le diable, se montrer plus malin que lui »- est une création pour six danseurs d’exception. 

Le plateau est sombre, bordé par des configurations de blocs noirs qui suggèrent à la fois les ruines d’une civilisation et du charbon souterrain. Les danseurs portent les traces de cette matière sur la peau, qui se mêlent progressivement avec la sueur. Cette ambiance post-apocalyptique était déjà au cœur de la version du ballet Giselle créée par Akram Khan en 2016, mais cette fois la chorégraphie propose des impressions oniriques à la place d’un récit explicite. Même le texte, qui revient ponctuellement via une bande son enregistrée, n’est que suggestif, évoquant des animaux, l’homme, l’âge et le temps. Un désastre écologique aux airs mythiques semble au rendez-vous. 

En effet, tandis que la pièce résiste à raconter une histoire, le programme note que le chorégraphe anglo-bangladais a été partiellement inspiré par une tablette issue de L’épopée de Gilgamesh décrivant la destruction par le roi tout-puissant de la plus belle forêt de cèdres. 

S’étant fabriqué une carrière à mi-chemin entre le Kathak – danse traditionnelle originaire de l’Inde du nord – et la danse contemporaine, il n’est pas étonnant qu’Akram Khan fasse appel à une distribution de danseurs aussi éclectiques et internationale. Et bien que leurs qualités distinctes soient mises à l’honneur, les deux danseuses et quatre interprètes masculins possèdent tous un rapport extraordinaire avec le sol, une souplesse de bassin qui permet des déplacements terrestres des plus animaux. 

La taïwanaise Ching-Yun Chien, l’australien James Vu Anh Pham, l’américain Sam Pratt et le Philippin Jasper Narvaez, étaient remarquables dans leur virtuosité qui ne perd pas d’élan tout au long de l’heure et vingt minutes du spectacle. Le français Dominique Petit incarne le personnage d’un Gilgamesh âgé avec une fragilité perçante, tandis que l’américaine aux origines indiennes, Mythili Prakash, transmet une élégance qui s’appuie sur sa maîtrise du Bharatanatyam (danse classique de l’Inde du sud). 

Dans les créations précédentes d’Akram Khan, la musique demeure un souci majeur, car dépourvue de subtilité. Le problème se poursuit malheureusement ici avec de nombreux clichés qui surgissent de la bande son électronique, tels des crescendos bombastiques et des effets vocaux surexploités. L’éclairage et les gestes sont souvent liés à ces sonorités afin de créer un effet illustratif qui tombe à plat.

Heureusement, de nombreux passages chorégraphiques sont dignes d’intérêt, tels l’utilisation de la diagonale, particulièrement réussie quand les six danseurs l’emploient pour proposer plusieurs temporalités. Cette composition expressive est pleine d’élan, proposant différents scénarios à la fois.  Alternant des gestessynchronisés avec des gestes individuels, les danseurs avancent, reculent, évoquant le passage du temps parfois dans la lutte, parfois résignés. 

Cette exploration du temps sonne juste à l’heure du changement climatique et nous renvoie  au titre de la pièce : « Tromper le diable » est une vieille expression anglophone relative à l’homme face à sa mortalité et à son désir de tout faire pour y échapper. Akram Khan s’interroge sur cette notion de temps et de déclin, que ce soit à titre individuel ou en tant que société, et notamment sur le plan écologique. Afin de de nous sauver de nous-mêmes, faudrait-il que nous nous bernions ?