Manu Lanvin : quelques mots de blues

Getting your Trinity Audio player ready...

Partager cet article :

À l’occasion du premier concert de sa tournée été, automne et hiver 2024 qui débutera au Musicalium Festival (Le Creusot) ce vendredi 28 juin, échange avec l’auteur-compositeur-interprète et producteur Manu Lanvin.

Comment êtes-vous arrivé vers la musique et le blues plus particulièrement ?

Je dirais que j’ai suivi mon instinct. Vous savez, un jour on développe une passion et on ne se l’explique pas vraiment. Ça vient sûrement des concerts de Rock auxquels j’ai assisté très jeune. À 5 ans, j’ai été marqué par un concert de Téléphone au Zénith. Je me rappelle clairement Richard Kolinka fracasser sa batterie en fin de concert. Ce sont des images qui marquent et qui m’inspirent forcément aujourd’hui dans mon travail. J’ai aimé ce côté très festif, cette communion avec le public. Ça a dû à mon avis éveiller quelque chose chez moi, qui a fait son chemin… un long chemin. L’apprentissage de la guitare oriente quant à lui forcément vers le blues / rock, car quand on veut bien connaître son instrument, il faut connaître ses classiques. C’est le conseil que m’a donné un jour Bernie Bonvoisin (le chanteur de Trust).

Quels genres de classiques ? 

Les mecs qui m’ont le plus éclatés personnellement, c’est Jeff Beck, Jim Hendricks, Eric Clapton, Jimmy Page… tous ces grands guitaristes mordus de blues qui ont révolutionné la manière de jouer la guitare électrique dans les années 70. Il s’est vraiment passé quelque chose à cette période puisqu’on en parle encore aujourd’hui. On peut dire qu’ils ont ouvert la voie.

Plus concrètement, que conseillerez-vous à quelqu’un qui souhaite découvrir le blues, le rock et pourquoi pas en jouer ?

Pour commencer, je transmettrai à mon tour le conseil que m’a donné Bernie Bonvoisin. Il faut écouter tous ces génies de la guitare que j’ai cité et ça va vous donner, à mon avis, des clefs, de l’inspiration et une manière de jouer. Il faut se nourrir de ce que vous entendez. Il y a toujours quelque chose de bon à prendre chez un musicien ou même un chanteur. Je suis, à titre personnel, très attiré par les grandes voix. Je suis autant sensible aux artistes féminines comme Etta James, Nina Simone que par Joe Cocker ou Van Morrison, qui ont une manière de chanter tout à fait propre.

Il y a eu aussi des rencontres déterminantes qui vont ont façonné. Je pense à Paul Personne, Johnny Hallyday ou encore Calvin Russel qui vous ont permis de faire entendre votre musique à un large public. 

Tout à fait. Encore une fois ce sont tout simplement des occasions, des opportunités qui m’ont été données. À moi de décider de les saisir ou pas. Quand Johnny a souhaité que j’ouvre son Olympia en 2000, il fallait juste savoir relever le défi et dire banco. Il cherchait à l’époque de jeunes artistes pour l’introduire. Je précise la date, car les gens ont plus en mémoire la dernière tournée qu’il a faite et sur laquelle j’étais également présent. Pour le coup, à ce moment-là il s’agissait plus d’une invitation de sa part. Il y avait sur cette ultime tournée de très bons artistes d’ailleurs. Je pense notamment à Greg Zlap ou encore Yodelice (qui en plus l’ont accompagné sur ses derniers projets). Vous savez, on en parle très peu, mais Johnny était quelqu’un de très instinctif, curieux et qui savait très bien s’entourer. Il avait toujours de très bons artistes autour de lui. Il avait cette intelligence de s’intéresser à la musique de la jeune génération. Ce fut tout à fait la même situation pour Calvin Russel. Il avait une discographie bien remplie et a peut-être senti que collaborer avec quelqu’un allait être bénéfique. Ça lui a apporté un vent de fraîcheur et ça m’a apporté une certaine maturité dans ma musique. Un deal gagnant / gagnant. C’était un véritable travail d’équipe. J’ai comme vous devez vous en douter maintenant un grand respect pour les « anciens ». On a beaucoup à apprendre d’eux et j’adore me frotter à des artistes ayant un beau parcours, une expérience et expertise.

Puisqu’on parle de travail d’équipe, belle transition pour parler de votre projet avec votre père (Gérard Lanvin).

Le projet Ici-Bas est né pendant le covid. On s’est retrouvé comme tout le monde comme deux c*** à l’annonce du confinement. Arrêté pour ma part en plein vol au moment où j’avais autour de 150/200 dates de prévues, c’était assez violent. C’était d’autant plus dur à encaisser que le seul endroit où je suis heureux c’est sur scène donc bon. Et puis c’était pareil pour mon père j’imagine. On était donc tous les deux coincés chacun de notre côté à Paris et c’est là que l’idée de cet album s’est véritablement concrétisée. À vrai dire, on en avait déjà parlé ensemble avant la pandémie, mais nos calendriers chargés ne nous permettaient pas de travailler dessus. On avait maintenant tout le temps de se consacrer à ce projet (rires). On s’est vu tous les jours pour bosser dessus en espérant qu’on puisse sortir le disque à la fin de cette période compliquée. Avec le recul c’est pour moi un album intemporel, presque testamentaire. Ça faisait longtemps que mon père remplissait des carnets de notes. Il y avait largement de quoi faire des chansons avec tout ça. C’est même déjà arrivé qu’il utilise certaines phrases pour « upgrader » des dialogues dans ses films. J’ai donc « piqué », ses carnets puis fait mes découpages, comme un puzzle. C’est un homme qui s’intéresse beaucoup à notre pays, aux gens, à ceux qui galèrent. C’est quelqu’un de profondément humaniste et je pense que c’est pour ça que le public l’apprécie. Il sait très bien dénoncer les injustices dans ses textes d’ailleurs. Il a la phrase juste. L’objectif était donc de lui donner la parole librement sans qu’elle soit tronquée ou sortie de son contexte.

Et j’ajouterais que le blues est historiquement l’esthétique parfaite pour ce genre de textes forts et engagés.

Exactement ! Vous avez tout à fait raison.

Ici-Bas est donc sorti en 2021 « dans les bacs ». Pari réussi puisque trois ans plus tard on en parle encore ensemble.

C’est assez cocasse, oui. Pour un album boudé par les maisons de disque, c’est finalement un beau succès. Très peu de temps après sa sortie, il s’est hissé cinquième des ventes (tous styles confondus). Nous avons donc eu raison d’y croire. C’est le plus beau pied de nez à ceux qui n’y croyaient pas. J’en profite pour passer un message à tous celles et ceux qui sentent qu’ils ont un projet qui peut plaire au public, ne lâcher rien et n’écouter personne si vous y croyez. J’en suis la preuve vivante.

En prenant connaissance des prochaines dates de la tournée en cours, je vois que vous défendez sur scène trois répertoires différents tout en étant en studio actuellement. Vous travaillez sur un quatrième projet en parallèle ? 

Il est temps pour moi de refaire un album oui. Il y a plein de choses qui sont venues enrichir mon inspiration ces derniers temps.

Pour terminer cet entretien, parlez-nous un peu plus en détail de votre tout récent hommage sorti en juin à Calvin Russel que l’on évoquait tout à l’heure.

C’est effectivement un album hommage sorti en juin dernier 13 ans après sa disparition et qui est né dans la continuité d’un concert qu’on m’a demandé de faire en Normandie pour rendre hommage le temps d’une soirée à cet artiste avec qui j’ai collaboré. Ça a pris du temps, car il a fallu réunir tous les invités sur cet album, mais je suis très content du résultat. Avoir autant de grands artistes sur un même disque c’est vraiment chouette. Je suis d’autant plus fier, car j’ai le sentiment qu’il y a une certaine exactitude dans ce qu’on a fait. Calvin Russel était un artiste authentique et tous ces artistes ayant répondu présents pour cet album hommage le sont également. Je me dis que quand on a des exactitudes comme ça et que ça se passe si facilement et bien on ne peut-être qu’heureux. C’est ça le bonheur et la réussite. « Assis toi à ta place, on ne te fera pas lever », comme me disais mon père.

Le site de Manu Lanvin : manulanvin.com

Benjamin Decoin pour SIPA Press
Credit : Benjamin Decoin / SIPA Press

Crédit de l’image en une : Tamara Pienko