Samedi 19 octobre, la presse était invitée à échanger avec l’actrice Isabelle Huppert, qui avait reçu la veille le Prix Lumière 2024 au Centre des Congrès de la ville de Lyon. Voici le compte-rendu de cette rencontre.
Bonjour Isabelle Huppert, qu’avez-vous à dire à toutes ces jeunes femmes qui souhaitent, par exemple, débuter le métier d’actrice ?
Je leur dirais d’être curieuses. De voir, de lire beaucoup de choses, de regarder beaucoup de films. Et puis, il faut, même si cela n’est pas facile, je le conçois, s’efforcer d’avoir toujours confiance en soi.
Vous avez collaboré avec de nombreux réalisateurs et acteurs internationaux dans votre carrière. Avez-vous constaté une différence entre travailler avec une équipe française et étrangère ?
J’aurais presque envie de dire que ça change tout et rien à la fois. Ce qui ne change pas d’un pays à l’autre, c’est le cœur même du cinéma. Il y a un langage commun. Je pense que le cinéma a vocation à être international et universel.
Des projets ou des souhaits de collaboration avec des réalisateurs étrangers sont-ils à venir ?
Je vais prochainement collaborer avec une réalisatrice allemande. Concernant mes « souhaits », j’ai du mal à raisonner ainsi, pour être honnête. Je pourrais dire que je rêverais de travailler avec tel ou tel réalisateur, mais je trouve cela vain en réalité. En revanche, je peux vous dire que j’adorerais tourner en Angleterre, par exemple, car c’est quelque chose que je n’ai jamais fait.
Avez-vous des préoccupations particulières concernant la situation actuelle et l’avenir du cinéma ?
Vous savez, on peut penser comme Jean-Luc Godard et être très pessimiste sur l’avenir de cet art. Mais moi, je pense, et j’imagine que Thierry Frémaux ici présent sera d’accord avec moi, qu’il n’y a pas de raison de s’alarmer et que l’industrie cinématographique survivra. L’utilisation du verbe « survivre » suppose néanmoins qu’il y a une menace, mais ça, on le sait tous, et j’ai l’impression que depuis qu’on en a conscience, quelque chose subsiste. Je suis donc confiante pour l’avenir.
Vous aviez indiqué précédemment que vous aviez du mal à croire ce qu’on disait de vous. Hier, avez-vous cru à tout ce qu’on vous a dit ?
Cela m’a énormément touchée et, pour autant, c’était très troublant pour moi, effectivement. Par moments, on ne se reconnaît pas forcément dans ce qu’on dit de vous. Je pense que tout cela dépasse ma personne, à vrai dire. Je vois bien ce que cela représente aux yeux du public et de la profession, mais nous, acteurs, sommes un peu incrédules face à cette situation, car, au fond, nous occupons une petite place dans tout cela. Ce que j’ai fait n’est, selon moi, qu’une petite contribution.
Ces derniers mois, le cinéma français et international a été secoué par de nombreux événements. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Il y a des choses qui devaient être dites, et c’est très bien. Toute souffrance mérite d’être entendue et qu’on s’y penche.
Hier soir, vous étiez éblouissante dans votre tenue de cérémonie. Quel est votre rapport à la mode ? Est-ce important pour vous, dans votre cinéma ?
Je pense que c’est essentiel, aussi bien dans le cadre d’une cérémonie que pour un personnage. Je pense même que tout se joue au niveau des chaussures, car le langage du corps est primordial, selon moi.
Comment choisissez-vous un rôle ou un réalisateur ?
C’est assez mystérieux à expliquer, en réalité. Il y a quelque chose qui résonne en vous.
Quel est votre moteur pour continuer à tourner après toutes ces années ?
Incontestablement, le plaisir. J’ai eu la chance de toujours travailler avec des personnes qui m’ont enthousiasmée, qui m’ont portée. Tant que j’aurai ce plaisir, je ne vois aucune raison de m’arrêter !
Comment aimez-vous travailler vos rôles ? Aimez-vous faire des répétitions ou préférez-vous passer directement au tournage ? Et êtes-vous plutôt une femme de la première prise ou préférez-vous avoir plusieurs prises ?
Cela peut vous paraître curieux, mais j’ai constaté que cela dépendait du pays de tournage. En France, on répète très peu, par exemple ; aux États-Unis, c’est plus fréquent. J’ajouterais également que cela dépend de la volonté du metteur en scène. Il faut se méfier de la répétition, selon moi.
Pour compléter cette question, faites-vous entièrement confiance à un réalisateur ou faites-vous appel à un coach pour vous épauler lors d’un tournage ?
Je connais des acteurs qui fonctionnent ainsi, mais moi, personnellement, je trouve cela très étrange, car au fond, c’est activer quelque chose en dehors du champ cinématographique. Je pense que c’est le film lui-même qui nous raconte ce que l’on doit faire, son rythme.
Hier, lors de votre masterclass, vous évoquiez l’importance d’une certaine froideur dont vous faites preuve pour jouer un rôle. À quel moment avez-vous pris conscience de cela ?
Depuis toujours, il me semble. C’est un peu comme l’histoire du scorpion qui ne peut pas s’empêcher de piquer, vous voyez ? Plus sérieusement, l’émotion naît de la froideur, selon moi. Ce n’est pas quelque chose qui se travaille.
Qu’attendez-vous d’un réalisateur ou d’une réalisatrice quand vous tournez ?
Un metteur en scène, par définition, se doit de diriger, mais j’attends aussi qu’il me laisse une petite part de liberté dans mon jeu. C’est très souvent le cas, d’ailleurs.
Avez-vous constaté un certain militantisme ou une politisation du cinéma ? Si oui, qu’en pensez-vous ?
Le cinéma est devenu encore plus politique (dans le sens noble du terme) ces dernières années, effectivement. Il nous a toujours raconté beaucoup de choses sur notre monde. Parfois il est pour, souvent il est contre. Je pense qu’il faut surtout qu’il reste libre et garde l’indépendance d’expression qu’il a aujourd’hui.
Y a-t-il une différence dans votre ressenti entre ce Prix Lumière et votre toute première récompense ?
Qu’il s’agisse du Prix Lumière ou de mon tout premier prix, le prix Suzanne-Bianchetti, le ressenti est identique. Tout cela donne confiance en soi. Je pense néanmoins que le cinéma, c’est le triomphe de l’instant présent. Tout ce qu’on a pu faire avant n’a rien à voir avec ce qu’on fait sur le moment.
Y a-t-il des critiques de réalisateurs ou d’autres qui ont changé votre façon de voir les choses ou vous ont mis le doute ?
Jamais ! Je plaisante. Non, mais en même temps, on ne peut pas plaire à tout le monde, et heureusement. Il faut replacer ces critiques dans un contexte général. Cela dépasse sa propre personne. Ce n’est pas très grave, au fond.
Votre rapport de spectatrice a-t-il changé depuis que vous faites ce métier ?
Avant de commencer le cinéma, j’étais une très mauvaise spectatrice, je dois dire. J’avais vu très peu de films avant de débuter. Je pense que j’aurais pu être actrice sans sortir de ma chambre finalement, car tout est affaire d’imaginaire. Quand je vois un film, cela n’influence en rien mon jeu, ni ce que je suis.